La CNIL craint des dérive
Légalisation de la surveillance des professions protégées et des points d’accès publics à Internet, absence de mécanismes de traçabilité, conservation des données : plusieurs points de la loi Loppsi alertent la CNIL.
Présenté en conseil des ministres le 27 mai dernier, le projet de loi Loppsi
(Loi d'Orientation et de Programmation pour la Performance pour la
sécurité intérieur) comporte de nouvelles dispositions en matière de
sécurité et de contrôle sur Internet. Le texte introduit notamment la
captation de données à distance.
Plusieurs articles
de Lopssi 2 suscitent l'inquiétude des internautes qui craignent de
voir se mettre en place un système de filtrage d'Internet. Une crainte
déjà bien attisée par l'acharnement du gouvernement autour de la loi Hadopi prévoyant la surveillance des réseaux afin d'identifier les téléchargements illégaux.
Loppsi
2, qui sera examinée par les députés à la rentrée parlementaire, risque
bien de verser de l'huile sur le feu, d'autant que l'avis de la CNIL
sur le projet de loi souligne des risques de dérive. Dans ses
délibérations datées du 16 avril, désormais librement consultables, la
CNIL rappelle que la Cour constitutionnelle allemande a fixé une limite
précise à la captation de données :
« L'introduction
clandestine dans des systèmes informatiques de logiciels espions ne
peut être autorisée que s'il existe réellement des éléments présentant
une menace concrète sur l'intégrité corporelle, la vie, la liberté des
personnes, ou une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. »
Seules les données utiles à la manifestation de la vérité doivent être conservées
Par
cette référence à une décision juridique allemande, la CNIL rappelle au
gouvernement français la nécessité de définir clairement le cadre de
mise en oeuvre de la captation de données. La Commission relève à ce
titre plusieurs flous, imprécisions et même erreurs de nature à
autoriser des dérives.
Les informations saisies seront par
exemple intégralement placées sous scellés, et non pas uniquement les
éléments « utiles à la manifestation de la vérité ». Or une décision du
Conseil constitutionnel en matière de sonorisation (sur lequel s'appuie
Loppsi) impose en principe de ne pas conserver les « séquences de la
vie privée étrangères aux infractions en cause ». La CNIL appelle par
conséquent le législateur à respecter ce principe dans son projet de
loi pour la captation numérique.
Dans son avis,
la Commission relève également un « risque d'insécurité juridique
disproportionnés au regard des finalités poursuivies » dans le dernier
alinéa de l'article 706-102-6 portant sur les professions protégées
(avocats, médecin, notaire, entreprise de presse...).
La CNIL
critique ici l'emploie de l'adverbe habituellement dans la rédaction du
texte de loi, et qui pourrait permettre « de collecter des données
transitant sur des systèmes utilisés par des personnes protégées par le
législateur en raison de secrets particuliers liés à l'exercice de leur
profession, ou de les collecter dans les lieux de travail ou domiciles
de ces dernières. »
Pas d'outils de surveillance sans traçabilité de leur usage
Un autre point du projet de loi interpelle la CNIL, celui relatif à
la surveillance des points publics d'accès à Internet (cybercafés et
bornes d'accès publiques). Selon le texte, cette disposition
permettrait d'enregistrer durant au plus huit mois, « tous les
caractères saisis au clavier et de toutes les images affichées sur
l'écran de tous les ordinateurs d'un point d'accès public à Internet,
et ce à l'insu des utilisateurs. »
En conséquence, la CNIL juge
nécessaire que l'utilisation « de ces dispositifs particulièrement
intrusifs, fasse l'objet d'une vigilance particulière, afin de garantir
la proportionnalité de la mesure de surveillance aux objectifs
poursuivis. ».
En termes de garanties, la Commission attend donc
que des mécanismes soient définis pour rendre impossible l'exploitation
des matériels et logiciels de captation de données à des fins
détournées. Selon la CNIL, des mesures de traçabilité devraient
encadrer l'utilisation de ces outils afin que ceux-ci ne puissent être
employés que sous le contrôle d'un juge d'instruction.
Néanmoins,
l'avis de la CNIL n'est que consultatif et le gouvernement n'est donc
pas tenu d'en tenir compte. A noter ainsi que la Commission avait rendu
un avis très défavorable concernant le projet Création et Internet du ministère de la culture, sans que celui-ci ne soit véritablement suivi d'effets.
Par Christophe Auffray, ZDNet France